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Publié : 27 mars

Littérature

Rencontre avec le « sauveur » des océans, Bren Smith

Le J2R a rencontré, le 27 mars, l’auteur du livre « Eat Like A Fish » (traduit : « Le fermier des océans », Ed. L’arbre qui marche, mars 2024). Bren Smith, ancien de l’industrie de la pêche productiviste, s’érige en défenseur d’une autre voie qui pourrait sauver les océans du monde tout en pouvant produire la nourriture pour la population mondiale. Pour lui, l’aquaculture permet un modèle régénératif et équitable à base de fermes, d’algues et de coquillages.

Va-t-on voir un personnage à la Martin Eden (écrit par Jack London, en 1909) ? Quelques ressemblances : baroudeur, discours direct, téméraire, aimable quand il faut… et puis, Bren Smith m’apparaît comme un péquenot qui a des idées innovantes : Comment est-il arrivé à faire ce parcours rocambolesque d’un pêcheur contraint de se réinventer, qui au passage déclenche une révolution dans les océans. Peut-être il détient la solution pour « nourrir et donc sauver le monde ». C’est en mer qui se déroule la mère de batailles, nourrir l’humanité. C’est osé comme affirmation.

1. Journal des 2 rives : En rétrospective, êtes-vous satisfait de votre parcours, de votre manière de vivre le monde marin ? Ressentez-vous des regrets ?

Bren Smith : Ma vie ne devait pas se dérouler ainsi. J’ai eu beaucoup de chance avec des rencontres qui m’ont fait bifurquer ici et là. Vous savez que vivre et travailler dans l’océan cela vous permet de moments de réflexion, de méditation et de décision… Il y a eu de moments de joie, de solitude et de souffrance. Pas trop, mais assez pour en savoir leurs impact. Sur la souffrance, par exemple, un proverbe irlandais souligne qu’il faut savoir « s’entourer des gens qui ont souffert un peu, mais pas trop » pour pouvoir vivre bien dans son corps et dans son âme. Ainsi, je porte ma « souffrance » en moi et je porte une partie de la souffrance de l’humanité.

Chaque jour, quelque soit la météo ou l’actualité mondiale (qui est noircie par des drames et de guerres), je remplis ma journée avec joie et je me sens bien à la fin de la journée avec une sensation de devoir accompli. Concernant mon approche professionnelle, j’ai eu des échecs, mais le résultat final a été probant. Sans vouloir détruire le mythe de l’entrepreneur américain, je suis formel sur le fait que les réussites dépendent des échecs du passé… des imitations, des réseaux et de la chance. C’est l’anti-thèse du self-made man.

Quant à ma vie privée, j’ai eu des moments difficiles avec ma famille disloquée, avec mes addictions et parfois mes démons. Cela dit, j’ai rencontré une belle personne, mon épouse Tamanna, qui m’a sauvé et m’a permis de conduire différemment. C’était un moment de rédemption qui continue avec cette belle dynamique qui consiste à soigner les océans tout en proposant une alternative à ce productivisme ambiant.

2. J2R : Avez-vous des regrets ?

B.S. : Aller à la faculté de droit à l’université de Cornell (dans l’Etat de New York) était une erreur car le fossé de classe (le bagage intellectuel et économique… de la classe d’en haut) était insurmontable pour ce qui me concerne. D’ailleurs, je n’ai pas eu mon diplôme.

3. J2R : Dans le chapitre 17 « Nager avec les requins » de votre livre, Le fermier des océans, (1) vous êtes très critique du monde financier, a fortiori économique ? Quelles sont les alternatives à ce monde de requins ?

B.S. : Je vais progressivement tâcher de trouver un outil pour soigner les océans avec l’aide des acteurs du terrain, des mentors et avec la volonté de régénérer la Natur, en particulier l’océan. La réponse avec la ferme d’océans dans le détroit de Long Island (entre l’Etat de New York et celui de Connecticut) était de développer des cultures d’algues, de palourdes et de moules. Il était indispensable une autre approche avec des idées et moyens innovants. M. John B. Fullerton,(2) économiste, père du concept d’économie régénérative, m’a conforté dans l’idée de coopérer, collaborer et de répartir les risques (en amont) les gains (en aval). Par voie de conséquence, la concentration (et la verticalité dans la prise de décision qui en découle) dans les mains de multinationales comme Monsantos, n’est plus compatible avec cette nouvelle économie circulaire. En plus, les 260 fermiers d’océans actuellement en place n’ont pas besoin d’entrants (inputs) car l’océan en est un gisement. La notion que « small is beautiful » prend son véritable sens et doit devenir prédominante car nous avons un océan d’intrants sans aucun paiement à débourser. En réalité, si, on doit soigner constamment la Nature, autrement dit l’océan.

4. J2R : Vous êtes également critique du concept de la propriété. Prônez-vous à nouveau une révolution collectiviste ?

B.S. : Pas de tout ! Je ne prône pas le collectivisme. J’essaie de démontrer la faisabilité de pouvoir investir dans les moyens de production à moyen et à long terme et par le biais d’un mode de décision collective, une sorte de coopérative à but non lucrative. De toute façon, la propriété privée de l’océan n’est pas compatible avec les défis de demain et, en particulier, le changement climatique. Il est temps de réduire la portée d’une économie extractive et nuisible pour l’humanité. En réalité, les concepts de propriété privée et des droits d’usage devraient être revisités d’où l’importance des expériences comme celle de Greenwave.

Il n’y a pas d’alternative pour ce qui me concerne. La Nature se révolte à sa manière avec des phénomènes de plus en plus récurrents tels des ouragans, des typhons, des sécheresses… Personne ne peut prétendre au monopole des richesses des océans ou a fortiori des terres.

En outre, selon mon avis, la notion de « commons » ou de l’intérêt général s’applique largement dans ces périodes de troubles. Qui peut assurer les frais de dégâts liés aux catastrophes naturels ?
Il faut dépasser le système de prise de décision par le « big business » et l’emprise de décision verticale, centralisée. Il est temps des alternatives aux lois de marché et des lobbies qui ont complexifié les rapports entre les acteurs/décideurs dans le processus de production, de commercialisation et de consommation.

La personnalité montante qui préconise un futur « sobre »

A 14 ans Bren Smith quitte l’école pour devenir pêcheur en Alaska.
Alaska. Il passe des années à écumer l’Atlantique nord et le détroit de Béring dans des bateaux de plus en plus gros en compagnie de marins du monde entier. Comme un saltimbanque de temps modernes, il fait tout presque à l’excès : alcoolique, un penchant pour les drogues… bagarres à ne pas finir. Mais il adore travailler et a failli se tuer en travaillant. Au début des années 1990, le nombre de morues tombe à 1 % de son niveau des années 60, et le gouvernement canadien impose un moratoire sur la pêche.

Car le changement climatique est passé par là, et les poissons s’épuisent. Après plusieurs tentatives, Bren Smith invente un modèle de ferme océanique qui nourrit et répare la planète. Sa rédemption n’était pas évidente : il ne sait pas nager, est allergique aux coquillages, et n’a rien d’un fermier. Il est aujourd’hui tête d’affiche de documentaires sur CNN et Canal+, et d’une histoire qui se dévore comme un roman. Si vous aimez l’aventure, l’humour, et avez parfois envie d’une nouvelle vie, alors l’histoire de Bren va vous parler. Elle est unique aujourd’hui, mais demain nous serons des milliards à devoir nous réinventer.
Bren Smith change de voie, devient un modèle de rédemption. L’auteur essaye l’aquaculture, fonde successivement deux fermes océaniques emportées par des ouragans, avant de trouver un modèle régénératif et équitable à base de fermes d’algues et de coquillages qui deviendra l’organisation GreenWave.

La presse américaine le voit comme l’une des 25 personnalités qui inventent le futur, tout en considérant que sa réalisation est une des plus grandes inventions du monde. Bren Smith était en France du 25 au 27 mars pour parler de son expérience : des entretiens ont eu lieu sur BFM Business dans la Librairie de l’éco, sur la RTBF dans l’émission Tendances Première, sur RFI dans l’émission C’est pas du vent. En outre, un documentaire sera diffusé sur Canal + pour avril. 

Bren vit aujourd’hui en harmonie avec la mer, partageant son temps entre sa ferme et son association Greenwave pour former 10 000 personnes à la culture océanique.

Post-scriptum

Pour en savoir plus :

1. Titre : « Le Fermier des océans »

Sous-Titre : Mes aventures
d’ancien pêcheur en mission
contre le changement climatique
Auteur : Bren Smith
Traducteur : Remi Boiteux
320 pages – 21,90€
ISBN : 9789998772410
Parution le 21 mars 2024

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Nadia Krovnikoff
nadia@larbrequimarche-editions.fr

2. John Fullerton, économiste non conventionnel, investisseur d’impact, écrivain et philosophe, est l’architecte de l’économie régénérative. En 2001, après une brillante carrière de 20 ans à Wall Street où il était directeur général de JP Morgan, il a écouté une voix intérieure persistante et est parti.